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Liberté religieuse et liberté de conscience: évolutions, confusions, interprétations, avec D. AVON

Le 13 oct. 2021 à 20h30 avait lieu la Conférence de Dominique Avon (EPHE) au FEC – 17, place St Etienne, Strasbourg. Cette Conférence s'est tenue en marge du colloque de la MISHA sur "Le concept de liberté de conscience dans le monde contemporain".

Cette soirée avait lieu, dans le cadre du cycle DECERE 2021-22 sur "L'EXERCICE DE LA DEMOCRATIE, SES CONDITIONS, SES ACTEURS, SES MOYENS". Elle portait sur les conditions d'émergence de la liberté de conscience dans l'histoire et les religions.

Vous pouvez retrouver la conférence au FEC du 13 OCTOBRE 20h30 en différé sur : www.facebook.com/Decere.eu

SUIVEZ AUSSI LE COLLOQUE DE LA MISHA autour de DOMINIQUE AVON des 13 et 14 OCTOBRE sur YOUTUBE:  https://www.youtube.com/channel/UC238WW9CPbqST2A1ByIb5NQ 

 

DOMINIQUE AVON

Historien spécialiste des religions à l’époque contemporaine, D. Avon est Membre du Groupe Société Religions, Laïcité (GSRL) du CNRS pour le programme « Islams, Politiques, Sociétés, Histoire des dogmes et des idées ». Il est aussi Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études (Ve Section, “Sciences religieuses” – islam sunnite).

 Il a été Maître de Conférences à l’Université Paul Valéry – Montpellier III, puis Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université du Maine (Le Mans). Il a enseigné en Égypte, au Liban et aux États-Unis. Il a codirigé l’IPRA (“Institut du Pluralisme religieux et de l’Athéisme”) avec John Tolan. Il a également présidé l’AFHRC (“Association française d’histoire religieuse contemporaine” de 2011 à 2014.

 D. Avon concentre ses recherches sur l'Histoire des idées, des doctrines et des normes dans le champ religieux contemporain (islam, christianisme) aux 20e et 21e siècles, en explorant notamment l'Histoire des intellectuels, des élites, des institutions magistérielles musulmanes et chrétiennes. Arabisant, il est spécialiste de l'Histoire du monde méditerranéen, du monde arabe, du Proche et du Moyen-Orient.

Il a notamment publié aux Presses Universitaires de Rennes:  La liberté de conscience, histoire d'une notion et d'un droit (1171 pages), Presses universitaires de Rennes, 2020

 

Transcription de la conférence :

(Cette transcription a été générée par www.amberscript.com)

Conférence de Dominique AVON

au FEC (Strasbourg),

le 13 octobre 2021

 

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"Liberté religieuse et liberté de conscience, évolutions, confusions, interprétations".

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Jean-François BOUR (DECERE) : En marge d'un colloque qui a lieu actuellement à la Misha (Maison Interdisciplinaire des sciences de l'homme - Alsace) autour de son livre "La liberté de conscience, histoire d'une notion et d'un droit", je suis très heureux de retrouver Dominique Avon parce que nous avons été coopérants en Égypte il y a déjà un certain temps, et nous avons eu la joie de découvrir ensemble l'univers égyptien, non seulement égyptien, mais aussi musulman et copte. En tout cas, la diversité du christianisme oriental, à travers notamment des établissements scolaires où nous étions enseignants. 

Aujourd'hui, Dominique tu es à Strasbourg pour un colloque à la Misha autour de cette œuvre que tu as publiée en tant que directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études où tu tiens la chaire Islam sunnite. Voilà, je crois qu'on t'appelle dans le jargon « contemporanéiste ». Je ne vais pas nommer tous les postes que tu as occupés, mais en fait, tu as déjà enseigné à divers endroits : Montpellier, le Mans, Paris, en Égypte aussi, au Liban, aux États-Unis.

Nous sommes heureux de t'accueillir pour que tu nous éclaires dans cette soirée-conférence qu'à DECERE on a intitulée "Liberté religieuse et liberté de conscience, évolution, confusion, interprétations".

C'est très vaste, mais nous sommes heureux de t'entendre puisque tu t'es spécialisé dans l'histoire, en particulier des normes dans le monde religieux à la fois chrétien et musulman. Et sans doute peux-tu nous éclairer en cette période où les grandes religions mondiales que sont le christianisme et l'islam sont certainement invitées à traverser des transformations, des adaptations, peut être aussi, en tout cas, à évoluer dans le monde contemporain.

 

Dominique Avon : Merci beaucoup, merci Jean-François Bour, merci pour cette invitation, je suis ravi d'intervenir devant vous ce soir et je vais tout simplement commencer par vous poser une question : est-ce que parmi vous il y a quelqu'un (ou plusieurs d'entre vous) qui considère que le droit de liberté de conscience est un mauvais droit ? Vous levez le doigt.

 

Personne ne lève le doigt ! Ou je vous impressionne ou la question vous impressionne. Mais il y a cent ans, dans une salle comme celle-ci, analogue à celle-ci, devant un public majoritairement catholique, il y aurait eu un certain nombre de doigts levés parce que c'est une question qui n'était pas du tout évidente, ou la réponse à cette question n'était pas du tout évidente. Et l'un des objectifs de l'intervention de ce soir est de vous expliquer pourquoi cette question n'était pas évidente ou la réponse n'était pas évidente.

 

Aujourd'hui, il semble, (mais peut-être vous n'avez pas voulu lever le doigt, tout simplement), il semble que c'est un droit qui est considéré comme positif par le public qui est devant moi. Et de ce fait, il y a aussi une manière de dire, mais c'est quelque chose que nous avons depuis longtemps chez nous, qui que nous soyons. J'interviens devant des publics de francs-maçons, de catholiques, de musulmans, de juifs, vraiment des publics très divers. Et je n'ai pas devant moi des publics qui me disent : il faut le rejeter, en tout cas aussi nettement que ça. Donc, chacun va implicitement, parfois explicitement dire : mais ça, c'est quelque chose que nous avions.

Par exemple les bouddhistes mentionnent Ashoka, roi au troisième siècle avant l'ère chrétienne, devenu bouddhiste mais tolérant à l'égard des Hindous ; le musulman qui fait référence à la sourate 2, verset 256, dira « mais nous avons ce droit de liberté de conscience puisqu'il n'y a pas de contrainte en religion ». Le chrétien dira que chez Paul de Tarse il trouve des éléments. Et puis, chez Thomas d'Aquin aussi ; le juif pourra parler de Philon d'Alexandrie. Ensuite, on peut décliner. Des protestants vont revendiquer la figure de Luther parce que c'est chez lui, sous sa plume qu'on trouve pour la première fois la liberté de conscience en toutes lettres. C'est la première occurrence aussi nette que ça, et donc tout le monde s’en réclame un peu. Quand j'ai entamé cette recherche, il a fallu dépoussiérer ça, quitte à rendre des personnes mécontentes du résultat de ces recherches. Eh bien, je vais vous proposer une relecture, une relecture de cette notion. Et pour faire une relecture, il faut déjà la distinguer de celle de liberté religieuse.

 

La liberté religieuse, nous en avons parlé cet après-midi, est une liberté qui est à la fois individuelle et collective, parce qu'on ne fait pas religion tout seul. La liberté de conscience est une liberté individuelle, un droit individuel. Il n'y a pas de liberté de conscience collective. Ennahda en Tunisie en 2014, a essayé de vendre ça et en face, on lui a dit notre liberté de conscience collective ça ne marche pas parce que vous allez nous enfumer si vous voulez, et on n'aura pas la liberté de conscience. Donc la liberté de conscience n'est qu'individuelle, en tout cas jusqu'à présent. Elle est fondée sur trois présupposés.

 

  • Premièrement, L'idée d'Humanité au sens où, par nature, aucun groupe, aucune communauté religieuse ne peut se prévaloir d'une situation privilégiée particulière. Quand un État définit et pose en droit la liberté de conscience il y a cet élément-là.
  • Deuxièmement, le primat du politique, ce qui signifie que des hommes et des femmes qui revendiquent une loi ou des lois attribuées à Dieu ou à des dieux ne peuvent l'emporter sur des hommes élaborant des lois au nom des hommes. Je ne vais pas insister sur le récent événement du secret de la confession au-dessus des lois républicaines. Vous voyez, il y a eu tout de suite une réaction de l'État qui a dit non, il n'y a pas de loi collective au-dessus des lois républicaines. Il peut y avoir une conscience individuelle au-dessus des lois républicaines, mais il ne peut pas y avoir de lois collectives au-dessus des lois républicaines, un corps de lois collectives. C'est un point important.
  • Troisième point l'autonomie de la vie scientifique et culturelle, qui signifie qu'il n'y a plus de sacré intouchable. On peut discuter de tout. On peut discuter de tout avec un minimum de compétences. Et justement, la question du blasphème est étroitement liée à la notion de liberté de conscience puisque précisément on est vide. L'idée même de blasphème, puisqu'il n'y a plus d'objet sacré a priori, il peut y en avoir pour certains groupes, mais c'est évidé. Alors les points de contestation, puisque j'ai commencé par vous dire qu’ici, il y a 100 ans il y aurait eu des personnes qui auraient levé le doigt ?

 

Ils sont très importants, ces points de contestation. Je vais en discerner quatre juste pour attirer votre attention.

  • Le premier, c'est que l'erreur ne peut pas avoir de droits face à la vérité et donc le problème de la liberté de conscience est lié pendant des siècles à celui-ci. Si on donne une liberté individuelle, cela veut dire qu'on donne des droits à l'erreur et l'erreur ne peut pas avoir de droits face à la liberté.
  • Deuxième élément vous ne pouvez pas vous détacher d'un lien de naissance, selon certaines conceptions religieuses vous êtes attaché dès la naissance à une religion, vous ne pouvez pas vous en détacher. Donc, vous êtes né comme ceci vous ne pouvez pas sortir de ce lieu où vous êtes. Donc c'est au nom de l'innéité ici et non plus au nom de la vérité.
  • Troisième point, troisième forme de contestation au nom de la différence culturelle, la notion de liberté de conscience est née dans un espace et un temps déterminé, dans d'autres espaces, on déclinait les choses autrement. Et donc, il n'y a pas de raison que ce droit soit reconnu comme universel. Il est culturalisé donc, il n'est pas universel.
  • Et puis, il y a un présupposé anthropologique pour reconnaître la liberté de conscience, qui est une liberté individuelle. Il faut reconnaître anthropologiquement un "je", c'est à dire qu'il y a chacun, chacune qui représente quelque chose et donc on ne passe pas par un droit collectif.

 

Je suis donc malheureusement ou heureusement historien et je vais vous proposer un plan chronologique en trois grands moments. Pour mon enquête, je suis parti, ou je suis allé à la recherche des traces que je pouvais trouver dans les sources, dans l'Antiquité, à l'époque médiévale. A l'époque moderne, je savais que j'en trouvais, mais il fallait aller au-delà. Alors partons dans cette antiquité, cette période médiévale.

 

Le cadre général, c'est celui de la soumission à une autorité, une personne ou des représentants du pouvoir dans différents empires ou principautés. Et du point de vue des cultes, il peut y avoir une pluralité dans l'empire perse. Dans l'Antiquité, il y a une pluralité de cultes. Le point important, c'est l'impossibilité de la sédition. Et je vous demande de retenir cet élément là parce que la sédition entraîne la répression immédiate. Ce n'est pas possible.

 

  • Dans l'Antiquité, il y avait un endroit où on pouvait porter une attention particulière, on n'a pas beaucoup de traces des cités du sud et de l'est de la Méditerranée. Mais pour la Grèce, là où nous avons des traces écrites et il y a un procès sur lequel je me suis arrêté qui est le procès de Socrate rapporté par Platon.

Un sondage particulièrement intéressant que celui de Socrate, parce qu'il est à la fois respectueux des règles de la cité et c'est un esprit dissident, en tout cas, il est condamné pour sa dissidence. Ce qui est intéressant, c'est que dans ce monde grec, on trouve les notions de "eleutheria", une autonomie individuelle, de "parrhesia", forme de liberté d'expression, mais ce sont des matières de décrire des réponses à des événements précis. Et donc, on ne passe pas en généralité, on ne monte pas en généralité avec ces catégories là, ça ne rentre pas dans l'ordre de la philosophie ou du droit d'une manière très générale.

 

  • La période suivante est celle d'un moment très particulier où, dans plusieurs empires, il y a une volonté d'aller vers l'unité politico-religieuse. Le Premier Empire à vouloir faire ça, c'est l'empire perse sassanide. L’Empire perse sassanide, contrairement à la dynastie parthe auparavant, va sous la poussée du clergé zoroastrien au début du troisième siècle, essayer de dire : il faut aller vers l'unité de peuples, langues, religions, ça a pour conséquence : on va persécuter les autres. D'ailleurs, l'Église arménienne est née dans ce moment-là, un des premiers points de l'Église arménienne c'est ce moment-là. L’Empire romain païen fait de même. Ça veut dire qu'on va avoir, par exemple, des Juifs qui sont persécutés des deux côtés, des manichéens persécutés des deux côtés, des chrétiens persécutés des deux côtés.
  • L’Empire romain fait, avec un peu de retard par rapport à l'empire sassanide, mais on a le même processus. Et quand l'Empire devient chrétien, on a encore le même processus, mais cette fois-ci avec une autre dominante.
  • Et c'est la dominante chrétienne et la seule altérité religieuse qui subsiste au bout de deux, trois ou quatre siècles dans l'Empire romain devenu chrétien, c'est l'altérité juive. Toutes les autres formes d'altérité, les manichéens ont disparu, les païens ont disparu, c'est la seule altérité reconnue officiellement qui subsiste.
  • Je reviens un tout petit peu en arrière parce qu'il y a un moment très intéressant. C'est au moment des persécutions contre les chrétiens et les manichéens, les juifs, par l'Empire romain païen, sous la plume de Tertullien. On trouve une expression tout à fait remarquable quand il dit qu'il veut revendiquer la possibilité d'exercer son culte. C'est un droit de l'homme, un privilège de la nature. Il emploie l'expression "humanis juris et naturalis potestatis". Donc, c'est un droit de l'homme, un privilège de la nature que chacun puisse adorer selon ses propres convictions. Vous voyez, on n'est pas du tout loin du contenu de ce qui, postérieurement, sera appelé liberté de conscience. Mais comme pour le procès de Socrate, on a un événement précis, une intervention aussi, et pas de montée en généralité. Et pas de développement ultérieur, pas de continuité. Et ce qui domine lorsque l'Empire devient chrétien sous Théodose, pas sous Constantin, c'est vraiment avec Théodose. Sous Constantin c'est la formule "compelle intrare", qui les contraint à entrer – dans le giron de l'Église – pour leur salut, après des divisions. Et donc, on a une position ici de logique chrétienne qui a évolué et qui n'est plus la même qu'au début du troisième siècle.
  • L'Empire arabo-musulman est fondé sur les mêmes présupposés, avec une diversité religieuse un tout petit peu plus importante, puisqu’il y a dans l'espace méditerranéen deux altérités religieuses reconnues les chrétiens et les juifs, mais les manichéens disparaissent et les païens disparaissent aussi. Ce qui est très intéressant, c'est quand cet empire s'étend vers l'Est, il est confronté à des Bouddhistes, à des Hindous surtout. Et au bout de deux ou trois siècles, il inclut ceux qui sont à l'est. Les autorités musulmanes incluent les Hindous dans les "ahl al-kitab", les gens du livre, mais véritablement juridiquement, d'accord ? ce qui, même aujourd'hui un Égyptien ne le sait pas et puis il ne comprend pas, un Hindou, il ne peut pas rentrer dans la catégorie des gens du livre. Ça fait 800 ans que là, à quelques milliers de kilomètres vers l'est, il y a des juristes musulmans qui ont fait rentrer les Hindous dans les gens du livre. Donc, avec un statut particulier, c'est intéressant ici de voir que la diversité religieuse est un peu plus grande.
  • Pour ce qui est de l'empire chinois, ce qui est remarquable, c'est la manière dont, en deux, trois ou quatre siècles, le bouddhisme s'est complètement inculturé. Le bouddhisme est né dans un espace indien, mais il s'inculture en bon chinois. Alors avec de la violence, il y a eu une résistance forte. Ça ne s'est pas passé du tout de manière pacifique, mais il s'est inculturé et il devient à côté du confucianisme et du taoïsme, pas en ayant le même statut, le confucianisme a un statut bien particulier, quelque chose de différent. Je ne vais pas trop m'étendre sur la période, mais le résultat, c'est qu’il n'y a pas de liberté de conscience. On n'a pas de traces et on gère en fait des communautés diverses, des communautés religieuses diverses, un nombre en général limité de communautés religieuses diverses, avec l'empire chinois qui est un cas très particulier dans la gestion de ces communautés.

 

Est-ce que du côté des penseurs, du côté des hommes de religion, des théologiens, par exemple chrétiens, est-ce qu'il y a une réflexion à l'époque médiévale là-dessus ? Alors, côté musulman, ce qui est très intéressant, c'est qu'à la fin du 8ème début du neuvième siècle, il y a eu une réflexion tout à fait passionnante sur le libre arbitre. Le libre arbitre, ce n'est pas la liberté de conscience, c'est le rapport de l'individu croyant face à Dieu, face à Dieu tout puissant quelle est ma part personnelle ? Je le résume très schématiquement, ce n'est pas la question ici de la liberté de l'autre. Le courant des Mu'tazilites dit qu'il y a libre arbitre mais c'est un courant qui persécute les musulmans qui ne sont pas d'accord avec eux et qui opprime les non-musulmans. Donc, si vous voulez, on peut être favorable au libre arbitre, mais pas du tout favorable à une forme de liberté de conscience qui n'a pas de nom, d'ailleurs. Il faut bien faire la différence ici avec le libre arbitre.

Du côté chrétien, je vais m'arrêter sur une figure. Je vois une robe blanche devant moi, celle de Thomas d'Aquin, et qui est tout à fait intéressante parce qu’il se penche sur la notion de conscience erronée. Avant lui, il y en a d'autres qui l'ont fait, Abélard et Héloïse. Et donc, il va essayer d'expliquer quelle est la place possible à la conscience erronée de bonne foi. Est-ce que ça veut dire que Thomas d'Aquin laisse ou développe, comme me l'a dit il y a quelques années un Dominicain, la liberté de conscience et pose ce terme-là. Non, il ne donne pas le droit de liberté de conscience. En tout cas, il ne formule pas cette possibilité du droit de liberté de conscience, dans la mesure où il dit : il peut y avoir une altérité religieuse, celui qui naît dans le judaïsme, dans l'islam, etc. Il vit comme avec des droits spécifiques. On ne va pas le forcer à se convertir. D'accord, mais celui qui naît et qui est baptisé Chrétien et qui grandit dans le christianisme, il a eu tous les moyens, tous les outils à sa disposition pour ne pas se tromper. S'il quitte le christianisme, alors il commet l'acte le plus grave qui soit, beaucoup plus grave que celui qui fait de la fausse monnaie. Or, qu'est ce qui arrive à celui qui fait de la fausse monnaie au moment de la période médiévale ? C'est la peine de mort, donc Thomas d'Aquin dit la peine qui s'applique, c'est la mort. D'accord ? donc, c'est le cheminement, vous voyez cela, il n'y a pas de liberté de conscience sous la plume de Thomas d'Aquin. Par contre, il y a une réflexion sur la possibilité de la conscience erronée.

 

Je formule une conclusion provisoire sur cette grande période Antiquité-Moyen Âge. C'est 3500 ans d'histoire que je viens de balayer en quelques minutes.

  • Premier élément une gestion communautaire des cultes officiels, de certains cultes, avec disparition ou ignorance d'autres cultes, une territorialisation du culte dominant et l'impossibilité de quitter la communauté qui est associée au pouvoir. C'est à dire, quand vous êtes de la communauté associée au pouvoir, vous ne pouvez pas la quitter. Vous allez affaiblir le groupe dominant, donc, et pour un musulman sous autorité musulmane et pour un chrétien sous autorité chrétienne, on ne peut pas quitter sous peine de mort. C'est ce qui change à la période moderne. En tout cas, pour une partie de l'humanité.
  • Au 16e siècle, il y a des jeux religieux tout à fait passionnants dans diverses sociétés du monde. Au 16e siècle, l'empire perse, sous la dynastie sassanide en quelques décennies, passe du sunnisme au chiisme avec des contraintes. Et vous voyez, on a un basculement du paysage religieux. Dans l'empire moghol, on a également de grandes plaques religieuses qui bougent puisqu’il y a l'empereur dans la seconde moitié du 16ème siècle, l'empereur Akbar est un empereur qui va presque constituer sa propre religion à lui-même, qui est extrêmement tolérant, qui laisse se disputer des jésuites et des oulémas pour savoir qui peut avoir raison, qui laisse se développer un groupe nouveau, qui devient le sikhisme, les sikhs. C'est sous l'empereur Akbar que ça se développe. Vous voyez une latitude large, mais pas de liberté de conscience. Pour ce qui est de l'Empire ottoman, il y a une reconnaissance de certains groupes religieux. D'abord, les Grecs orthodoxes, les juifs, puis les Arméniens, puis, peu à peu, au fil des siècles, d'autres communautés religieuses officielles. En revanche, absolument pas de reconnaissance de diversités internes à l'islam. Donc, les Druzes sont ou opprimés ou persécutés lorsqu'ils se révoltent et fortement persécutés. Les chiites sont ignorés dans la partie orientale de l'Empire ottoman. En plus, ils peuvent s'acoquiner avec les Perses voisins, donc ils sont dangereux. Les "Nuṣayrīs" (ou Alayouites) étant considérés comme une hérésie montagnarde, on ne les tient pas en considération. Vous voyez donc la diversité interne à l'islam sunnite et à l'islam en général n'est pas reconnue par l'Empire ottoman. Ce sont des communautés extérieures.
  • La nouveauté vient de ce monde chrétien latin. Avec la réforme et en même temps le moment de l'humanisme sous la plume de Luther à partir de la formule « liberté chrétienne », mais elle signifie liberté religieuse au sens de liberté de culte pour ceux qui ont une conscience, qui ont une "Gewissen". Et on va interdire, par exemple dans tel lieu, à telle communauté de sœurs, de pouvoir célébrer la messe, parce qu'elles se trompent. Il va justifier également l'usage de la force dans certaines circonstances, une fois qu'il est appuyé par certains princes protestants. Mais il y a eu une brisure ici, quelque chose d'une rupture absolument fondamentale avec cette notion-là et une réflexion sur la manière de penser la diversité intra chrétienne, sans la territorialiser, parce que penser la diversité intra chrétienne en la territorialisant, ils savaient faire les chrétiens. Il y avait eu le monde orthodoxe et le monde chrétien latin. Mais penser la diversité chrétienne sans la territorialiser, c'est un défi nouveau. Donc, il y a des colloques politico théologiques, surtout dans les années 1560-1570, des pressions, puis des conflits ouverts, des guerres de religions sont particulièrement virulente en France lorsque ces colloques échouent. Là encore, sous la plume de quelques personnalités, on trouve des formules qui montrent qu’il faut aller au-delà. L'une des personnalités qui va le plus loin ici, celle de Castellion, qui, après le procès Servet et après surtout l'ouvrage "Le Traité", écrit par Calvin, écrit un contre "libellum calvini" dans lequel il écrit cette formule très connue "Tuer un homme n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme". Quand les Genevois tuèrent Cervin, ils ne défendirent pas une doctrine. Ils tuèrent un homme. Donc là on n'a pas l'expression liberté de conscience, mais vous avez encore une fois du contenu qui est très proche de ça. Et on va retrouver par la suite des références à Castellion chez, ultérieurement, les défenseurs de la liberté de conscience qui ne la considèrent pas comme une simple liberté religieuse pour eux. Alors Castellion est très critiqué par ses coreligionnaires, que ce soit Honoré Estienne ou Théodore de Bèze qui dit que Castellion est un monstre, donc vous voyez que c'est une position qui est ultra minoritaire à ce moment-là.
  • Dans la seconde moitié du 17e siècle, je passe sur les traités de Westphalie parce que l'État d'abord, la paix d'Augsbourg en 1555, les traités de Westphalie près d'un siècle plus tard. Parce qu’au bout du compte, ce qui est arrivé, c'est qu'on a en grande partie territorialisé la diversité religieuse. Un prince, un territoire, une confession. Si vous n'êtes pas content avec ce prince sur ce territoire, vous quittez le territoire et vous allez en voir un autre. Donc, c'est un peu ce qui s'est passé avec des exceptions où il y a une reconnaissance, une tolérance. D'où l'importance du terme tolérance à l'époque, une tolérance de cette altérité religieuse intra chrétienne. L’Édit de Nantes en France est une illustration de la volonté d'aller plus loin sur un même territoire donné avec une même autorité politico religieuse, de reconnaître la diversité, c'est à dire, pour reprendre les termes que j'ai donné en introduction, vous pouvez ne pas partager la confession du prince, mais ne pas être considéré comme séditieux à son égard. C’est ça l'enjeu.

 

Les choses bougent un peu dans la seconde moitié du 17e siècle et avec des figures comme John Locke, Baruch Spinoza, Pierre Bayle sont trois contemporains, mais aucun d'entre eux ne va jusqu'à fixer les termes en tant que tel. John Locke, par exemple, qui part du rôle de l'État, dit on peut accepter une très-très grande diversité, mais on fait deux exceptions. Première exception les papistes, parce que leur autorité est autre que celle de l'État : c'est Rome ; et les athées, parce que s'ils sont athées ils n'ont pas de morale. D'accord, donc là, sous la plume de Locke, on a deux exceptions. Finalement, c'est véritablement au début du 18e siècle que la notion de liberté de conscience apparaît véritablement dans le sens qui lui est donné au 19e et au vingtième siècle. Et il y a une préface que j'ai trouvée de Jean Barbeyrac, qui est très parlante : "Nous qui sommes hommes, avons-nous besoin qu'on nous apprennent quels sont les droits naturels des hommes et jusqu'où chacun veut ou peut y renoncer ? Le peuple est-il fait pour le prince ou le prince pour le peuple ? Doit-on adorer une divinité que l'on ne reconnaît point ou rendre à la divinité que l'on reconnaît un culte que l'on croit lui être désagréable ? Aucun homme mortel peut-il dominer sur la conscience d'un autre ?" Là, c'est très clair. Aucun mortel ne peut-il dominer sur la conscience d'un autre dont les mouvements ne lui sont même connus que par des signes sujets à être fort équivoques ?

Ce qui nous amène au 18e siècle où et des philosophes et des juristes par co-convergence vont fixer les termes. Jean-Jacques Burlat Maquis dans les principes du droit naturel, Aymeric de Vatelle dans le droit des gens aux principes de la loi naturelle. Puis Christian Wolf, (Kant ?), on va retrouver les éléments également dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Et l'auteur qui écrit la plupart des articles en lien avec mon objet, c'est Guy de Jaucourt, qui renvoie d'ailleurs à Barbeyrac et à d'autres. Donc, la liberté ne s'exerce pas d'abord au sein d'une religion donnée au nom d'une vérité posée comme révélée. Elle doit pouvoir être exercée indépendamment de toute foi, dire le saut qui a eu lieu entre le 16e et le 18e siècle. Cette liberté de conscience devient une liberté de croire et aussi de ne pas croire non seulement de changer de religion, mais également de changer de conviction, même si ce sont des termes ultérieurs. Mais tous les éléments au 18e siècle ici sont posés et c'est ce qui porte une partie de la France révolutionnaire, plus encore que dans la jeune république étatsunienne où l'expression qui est retenue pour les diverses constitutions des États fédérés des États-Unis d'Amérique, c'est "Religious Freedom", la liberté religieuse, mais une liberté religieuse de plus en plus élargie, alors que la notion de liberté de conscience est privilégiée en France. Cependant, on ne la retrouve pas et c'est tout à fait remarquable, mais Valentine Zuber, ici présente, le sait mieux que personne, on ne la retrouve pas dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. On trouve un article, à l'article 10, qui est très-très important, où on voit que la religion relève de l'ordre de l'opinion. Aujourd'hui, on dirait conviction.

On ne trouve pas l'expression liberté de conscience dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

 

Deuxième élément clé de cette période révolutionnaire, en tout cas dès les débuts de la période révolutionnaire, tous les droits sont accordés aux citoyens en tant qu'individus, mais aucun droit ne permet de réguler civilement les actes en tant que membres d'un groupe religieux. C'est ce qui est proposé aux juifs qui veulent accéder à la citoyenneté française. Vous avez tous les droits en tant que citoyen français, aucun droit en tant que nation juive.

 

Troisième élément, l'État se présente comme protecteur des citoyens contre toutes les formes de pression ou de détermination susceptibles d'être promues par accord intermédiaire. Et c'est là que le bât blesse immédiatement puisque cet État protecteur devient un État qui est en partie persécuteur puisqu'il y a une persécution, des formes de persécution à différents moments qui lient le politique et le religieux. Ne pas passer sur l'épisode révolutionnaire. Mais prenons simplement un exemple : c'est très-très violent dans certaines régions françaises. En Vendée, les guerres liées à la révolution, c'est la disparition de 14% de la population de la région. Quatorze pour cent de la population ce n'est pas tous des opposants à la révolution. C'est aussi des personnes qui sont favorables à la révolution. Mais c'est 14 pour cent de la population qui disparaît, plus que pendant la guerre d'Algérie et en moins de temps. Donc, c'est très important ces violences pendant la période révolutionnaire. Et puis, il y a toutes les limites qui sont liées à ces porteurs de la révolution et du message révolutionnaire. D'abord, ce que l'on développe depuis quelques années et quelques décennies, c'est à dire ces droits sont accordés aux hommes masculins, pas aux êtres humains, mais aux hommes en tant qu'être masculin, pas aux femmes. Il y a des inégalités économiques qui empêchent de fait des catégories populaires d'accéder à la plénitude des droits. Il y a une persistance de l'esclavage à des catégories de population bien déterminées. Il y a de l'antisémitisme, du racisme qui peut être théorisé, qui peut être sanctionné par un droit de ces États. Les conquêtes coloniales qui sont liées à cette période-là sont fondées sur l'expropriation de terres, l'inégalité juridique entre colonisateurs et colonisés. Tous ces éléments-là font que en même temps qu’un État comme la France ou d'autres États promeuvent la liberté de conscience, ils apportent aussi d'autres choses qui font qu'il peut y avoir ou bien acceptation ou bien rejet. Ou bien tri : on prend ça, on rejette ça, ou bien rejet en bloc. Ce qui est important et ce qui est intéressant, c'est que la notion se transmet et se diffuse dans d'autres langues en russe, en arabe. Quelques décennies plus tard, en russe, c'est au tournant du 18ème et du 19ème siècle. En arabe, la première occurrence que j'ai trouvée c'est en 1881. Donc, c'est une notion qui va se transposer dans différentes langues et qui, en se transposant dans différentes langues, suscite du débat.

 

Donc, on a une première mondialisation ici, de cette notion et avec des formes d'attraction. Je vais passer sur la promotion de la notion et du droit dans l'espace européen tout au long du 19ème siècle, par périodes. Ce n'est pas un schéma complètement linéaire, mais ça va relativement vite. Là où il n'y avait pas d'autorisation pour un autre groupe, plus que le droit de liberté religieuse, le droit de liberté de conscience permet d'accorder un certain nombre de choses. Parfois non. C'est le cas par exemple en Suède, où longtemps, ça reste très limité jusqu'au milieu du 20e siècle. Donc, vous voyez que même dans l'espace européen ou est-européen, il y a des limites. Quoi qu'il en soit, au début du 20ème siècle, nous avons cette attraction qui se concrétise dans des changements de droit à l'extérieur de l'espace que je viens de déterminer. Par exemple, après la révolution russe de 1905, le droit de la liberté de conscience est reconnu, est reconnu comme tel, comme un droit important. Au même moment, il y a un débat en Égypte, en arabe, en langue arabe, entre un chrétien d'origine tripolitaine, Tripoli dans ce qui est le Liban aujourd'hui, et un savant sunnite égyptien, qui porte alors la notion en arabe (Liberté de conscience : Hurriyat al-damir) n'est pas employée dans leurs débats. Mais ce qu'il y a dans leurs débats, c'est exactement ce qui est lié à cette notion-là. Le chrétien qui s'appelle Farah Antoun (1874–1922) dit : moi je rêve d'un État ou à l'intérieur de cet État il puisse y avoir, et il fait une déclinaison, un musulman, un chrétien, un juif. Il ajoute même ce qui est tout à fait exotique pour un Égyptien du début du 20ème siècle, un bouddhiste, un athée. Il emploie le terme un bouddhiste, un athée et autre. Et (Farah Antoun) lui répond : on ne peut pas séparer État et religion de la même manière qu'on ne peut pas séparer esprit et corps, plutôt corps et esprit. Et (Farah Antoun) lui répond en lui disant : mais l'État est là pour garantir les libertés de chacun. Donc, vous voyez qu’en langue arabe, il y a 120 ans, il y avait un débat autour de cette considération-là. Nous sommes dans un moment libéral de la pensée arabe qui permet justement la possibilité publique d'un débat comme celui-ci. La force de résistance la plus importante dans l'espace européen, c'est celle de l'Église catholique. Ce que je renvoie à ce que je vous ai dit il y a un instant. Quels sont les termes des positions de l'Église catholique, du Magistère de l'Église catholique ?

Je vais parler ici du Magistère, non pas des citoyens. Aux États-Unis la notion de liberté religieuse est entendue de manière très extensive, les américains se satisfont de cette liberté religieuse qui, pratiquement, confine à la liberté de conscience parce qu'elle permet l'expansion du catholicisme aux États-Unis. Mais le Magistère, lui, campe sur un certain nombre de positions.

  • Premier point il y a une vérité objective. Il y a une vérité objective conforme à la donnée révélée, qui fixe le beau, le juste et le bon.
  • Et donc, une conscience erronée ne peut pas combattre ça, ne peut pas remettre en question ça, ne peut pas rivaliser sur le même plan. Cette vérité dispose de droits que la conscience erronée de bonne foi ne peut réclamer.
  • Le droit légal doit être conforme, c'est un autre point de l'argumentation du Magistère catholique et des théologiens qui discutent de cette notion, le droit légal doit être conforme au droit moral qui est lui-même dépendant de la loi naturelle. Donc, on ne peut pas négocier.
  • Quatrième point : la liberté de l'Église prime un certain nombre de libertés individuelles, donc ces libertés de l'Église qu'il faut défendre puisqu'elle est porteuse de cette vérité.
  • Et enfin, il y a un idéal temporel de la thèse. C'est Monseigneur Dupanloup qui avait théorisé ça après le concile du Vatican. Le premier concile du Vatican, qui ne s'appelle pas le premier à ce moment-là, c'est à dire qu'il y a la société réelle, pluraliste, même si plus de neuf Français sur dix sont catholiques et ils se proclament comme tels lors du dernier recensement qui prend en compte la confession religieuse, ce doit être en 1871, si je ne me trompe pas. Donc, il y a une pluralité de fait. Mais l'idéal, c'est que la société soit intégralement catholique, dirigée par les règles qui sont liées au catholicisme.
  • Et puis, il y a l'hypothèse que cette société est plurielle et n'est pas conforme à cet idéal. Donc, l'idéal reste cet horizon vers lequel il faut tendre. Néanmoins, il y a une progression de cette pensée libérale et philosophique et politique jusqu'à un coup d'arrêt.
  • Le coup d'arrêt, c'est la Première Guerre mondiale, laquelle est très importante parce que les États libéraux vont contraindre les consciences pour l'effort de guerre au nom de la nation, au nom de l'État, au nom de la défense de la Patrie. Et donc là, on a un moment d'inflexion dans le processus de développement libéral et ensuite une grande inquiétude.
  • Une fois que la guerre est terminée, une grande inquiétude dans les capacités de l'homme à faire le bien pour l'humanité. Je vous renvoie aux mots de Paul Valéry, juste après, "nous autres civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortels." C'est un doute dans la capacité de l'homme à faire le bien. Et qu'est-ce qui se passe après la Grande Guerre ? Eh bien, il y a des contre-modèles qui se constituent. Le premier, c'est la grande lueur qui s'est levée à l'Est : le régime soviétique, puis des régimes fachistes et régimes totalitaires, le nazisme à partir de 1933. Tous sont autant de contre-propositions au libéralisme et à la pensée libérale, justifiées par ce qui s'est passé avant. Vous allez me dire est ce que justement, les personnalités ou les autorités religieuses ont profité de ce moment-là, elles n'en ont pas profité. Pourquoi ? Parce que pendant la Grande Guerre, elles ont toutes été divisées. Vous avez des catholiques qui se sont battus dans les deux camps, des orthodoxes qui se sont battus dans les deux camps, des juifs qui se sont battus dans les deux camps, des hindous qui se sont battus dans les deux camps, des musulmans qui se sont battus dans les deux camps. Donc, il n'y a pas une autorité qui peut ensuite prendre la main là-dessus. Ils sont divisés sur le rapport qu'ils ont entretenu à la guerre.
  • Il faut attendre l'après Seconde Guerre mondiale pour voir un renouveau de la pensée libérale et de la formule libérale, de l'attraction libérale. C'est ce qui vous explique que ce n'est qu'à ce moment-là, c'est une des raisons qui expliquent que ce n'est qu'à ce moment-là, qu'il y a eu la possibilité, dans un petit moment, un court espace-temps, de rédiger une Déclaration universelle des droits de l'homme et dans le moment de rédaction de cette Déclaration universelle des droits de l'homme, un comité a été constitué, présidé par la veuve de l'ex président Franklin Delano Roosevelt, Éléonore Roosevelt, avec des personnalités : le Français René Cassin, le Libanais Charles Malek, le Chinois Peng Tchung Chang et d'autres qui ont ensemble, au cours de plusieurs sessions, rédigé cette Déclaration universelle des droits de l'homme, prenant des contacts à l'extérieur et cherchant à avoir une vision la plus large possible de ce qui pourrait fonder cette règle commune pour l'humanité.
  • C'est un Libanais, Charles Malek, qui introduit à côté de la notion de liberté religieuse, la notion de liberté de conscience en toutes lettres, avec sa spécification : le droit de changer de religion et de conviction. Je l'ai dit cet après-midi, je le redirai, Éléonore Roosevelt ne comprenait pas pourquoi c'était nécessaire de distinguer la liberté religieuse et la liberté de conscience. Encore une fois, aux États-Unis, "Religious Freedom" englobe ceux qui se pensent non religieux parce que l'athéisme peut être considéré comme une religion. Et je le teste encore aujourd'hui chez des collègues anglo- saxons : Est-ce qu’être athée, est-ce une religion ? Oui, ça englobe tout ! Certains le disent, mais Malek, lui, sait que dans le monde arabe, ça ne veut pas du tout dire la même chose. Donc, il faut les deux termes, les deux expressions et la spécification. D'où des réactions. Il y a trois États qui réagissent, les représentants de trois États qui réagissent contre cette expression-là. D'abord l'Égypte.
    • L’Égypte qui dit, mais c'est la porte ouverte aux missionnaires chrétiens. Et le représentant indien lui dit : mais écoutez, vous, vous faites des missions partout dans le monde, vous musulmans vous faites des missions partout dans le monde, et notamment en Inde. Et vous refusez à d'autres, ce que vous, vous faites et ce pourquoi vous, vous demandez un droit à vous. Il faut qu'on soit égaux en la matière. Il y a cette discussion-là.
    • Le deuxième représentant c'est le représentant pakistanais. Le représentant pakistanais se fait taper sur les doigts par le ministre des Affaires étrangères pakistanais, qui est allé consulter Éléonore Roosevelt parce qu'elle avait des doutes. Elle n'était pas du tout spécialiste de l'islam et le ministre des Affaires étrangères pakistanais dit : non, nous on a dans le Coran verset 256, sourate 2, "nulle contrainte en religion". Donc, on est d'accord avec la liberté de conscience. Je précise que ce ministre des Affaires étrangères pakistanais était Ahmadi. Les Ahmadi, c'est un rameau de l'islam apparu à la fin du 19e siècle, qui est aujourd'hui considéré au Pakistan comme une hérésie de l'islam et qui ne peut pas se définir comme musulman. Mais en 47-48, c'était possible. Donc, il avait une position d'autorité.
    • Et le troisième, c'est le représentant de l'Arabie saoudite qui se trouvait être un Libanais maronite à ce moment-là qui s'appelait Djamel Baroudi et il était contre. Il a expliqué pourquoi il était contre, mais finalement on ne sait pas pourquoi, on n'a pas les traces. Je ne peux pas vous raconter une histoire. On ne sait pas pourquoi l'Arabie saoudite s'est abstenue, n'a pas voté contre la Déclaration universelle des droits de l'homme en 48. On va voir quelles sont les limites après de la Déclaration des droits de L'homme qui n'est pas contraignante. La Déclaration universelle des droits de l'homme n'est pas un texte contraignant, donc c'est une possibilité.
  • Alors je vous ai parlé, je vous ai indiqué tout à l'heure les très fortes résistances du Magistère de l'Église catholique à l'égard de la notion de liberté de conscience. Pie XI, à un moment donné, a parlé de liberté des consciences à distinguer de la liberté de conscience. On a quelques formules comme ça qui montrent qu'il y a un changement, mais le vrai changement intervient sous Pie XII et surtout au moment du concile Vatican II. Sous Pie XII, dans une déclaration que Pie XII fait auprès des juristes italiens en 1955, au milieu des années 50, où, implicitement, il abandonne l'horizon de l'État intégralement catholique.

 

Il est très-très intéressant ici qu'il y ait ce changement sous Pie XII, même auparavant, c'est un cheminement progressif : vous lisez le message de Noël de décembre 44, vous lisez ensuite cette déclaration, Il va y avoir là-dessus un article d'un collègue italien face aux juristes italiens en 1955, il voyait que la position du Magistère était en train de bouger. Et puis après, on arrive au concile Vatican II. Alors, on peut chercher des éléments dans la Constitution Gaudium et Spes. Mais c'est surtout dans Dignitatis Humanae, la déclaration sur la liberté religieuse que nous avons un changement. Il y a eu beaucoup de travaux sur la rédaction de cette déclaration-là, qui montre la vigueur des tensions au sein du corps des pères conciliaires et des théologiens qui les accompagnent pour savoir comment on fait pour penser et rédiger les choses en termes de continuité et non pas de rupture par rapport à la tradition. Parce que le défi est là. On sait à peu près où on veut aller, mais comment fait-on pour dire que l'on ne s'est pas trompé avant ?

  • Et là, il y a un glissement très-très intéressant qui est opéré, c'est à dire que le sujet du droit devient la personne, la personne humaine. Ce n'est plus la question vérité-erreur, c'est la personne humaine du fait de cette dignité qui est porteuse du droit. Donc là, ce glissement est absolument fondamental.
  • Et un deuxième élément essentiel, c'est la formule du "subsistit in" l'Église catholique. L’Église du Christ subsiste dans l'Église catholique. Donc, il n'y a pas adéquation absolue entre l'une et l'autre. Ce "subsistit in" est très-très important. Néanmoins, il y a une partie des pères conciliaires, appelée la minorité, qui est vent debout contre cette déclaration-là et qui constitue autour de Monseigneur Lefebvre un rameau qui, après 1988, au moment de 1988, lorsqu'il y a les consécrations d'évêques, devient une église schismatique. Et ce n'est pas tout. Il y a bien sûr les questions liturgiques qui sont en jeu, mais on l'a bien vu au moment où Benoît XVI a essayé de négocier la possibilité d'un rapprochement. C'est ce texte-là, plus la déclaration Nostra ætate, qui posait problème. Fondamentalement, c'est ce texte qui posait problème.

 

La fin des années 60, parce que l'Église catholique - Jean-François Bour, tout à l'heure, a dit « l'islam et le christianisme et au sein du christianisme, le catholicisme » - ce sont numériquement des corps extrêmement importants. Quand ça bouge-là, ça fait bouger beaucoup de choses, beaucoup de sociétés. Donc le changement au niveau de l'Église catholique, (si je dis changement, je trahis peut-être, une inflexion d'accord ?) l'inflexion au sein du Magistère de l'Église catholique a des conséquences importantes. Ça a des conséquences d'autant plus importantes qu’ensuite, pour une bonne partie des fidèles catholiques et même pour certains théologiens, on considère que la déclaration Dignitatis Humanae, c'est la liberté de conscience. Or, non. Si vous lisez le texte, ce n'est pas la reconnaissance de la liberté de conscience au sens libéral du terme, il y a toujours un attachement à la vérité. D'accord, je vais y revenir dans les textes de Jean-Paul II, notamment.

 

Quoi qu'il en soit, à la fin des années 60, les années 70 sont un moment d'optimisme pour ceux qui promeuvent la liberté de conscience. Optimisme parce que :

  • 1/ du fait des décolonisations, de l'acceptation par les États nouvellement indépendants de la Déclaration universelle des droits de L'homme lorsqu'ils entrent à l'ONU,
  • 2/ du passage de la Déclaration universelle des droits de l'homme au Pacte relatif aux droits civils et politiques, en 1966, même si une expression a changé, on a enlevé le terme "changer de religion" par "avoir une religion" sous la pression de certains États à référence musulmane.

Bref, il y a quand même un climat d'optimisme pour ceux qui promeuvent cette possibilité de la liberté de conscience. Et le climat d'optimisme est renforcé avec la Déclaration ou L'acte final d'Helsinki en 1973-74. On voit que cela peut avoir des conséquences sur le bloc de l'Est.

 

Je m'arrête un instant ici pour le bloc de l'Est et le monde sous domination soviétique. Il se trouve que là, d'où le titre de la conférence de ce soir, le problème fondamental n'était pas tant la liberté de conscience que la liberté religieuse. Parce que depuis les années 20, l'État soviétique, et surtout à partir de Staline, l'État soviétique, a utilisé l'expression et le droit de liberté de conscience pour combattre les religions. Combattre très concrètement les religions. Détruire des lieux de culte, fermer des lieux de formation des ministres du culte, essentiellement chrétiens, orthodoxes, musulmans et juifs. Et l'Église catholique n'a pas eu de reconnaissance telle qu'elle le voulait, en dépit du jésuite qui, à la fin des années 20, est allé là-bas ouvrir un certain nombre de lieux de cultes. Donc, on a ici une liberté de conscience qui est utilisée contre les religions. Ce que je vous dis est important pour comprendre parfois cette difficulté à saisir la différence entre liberté de conscience et liberté de religion puisque à partir de la fin des années 70, dans les années 80, que ce soit le pape Jean-Paul II ou aux États-Unis Ronald Reagan, ce pourquoi ils se battent quand ils regardent de l'autre côté du rideau de fer, c'est "Religious Freedom", la liberté religieuse. C'est ça dont ils ont besoin, ce qu'ils veulent justement, pouvoir aller librement à la messe ou au temple. Donc, c'est la liberté religieuse ici qui est un point de focalisation et pas la liberté de conscience dans ces cas précis.

 

Du point de vue de l'Église catholique, dans les années 90 maintenant.

J'ai repéré un certain nombre de textes tout à fait importants pour comprendre le positionnement du Magistère. Je vous en donne trois :

  • Le catéchisme de l'Église catholique, pas celui des évêques de France. Le Catéchisme de l'Église catholique qui a été rédigé par douze cardinaux et évêques dont le secrétaire de rédaction était l'Autrichien Christoph Schönborn. Si vous le lisez, vous ne trouvez pas l'expression "liberté de conscience" dans la totalité du Catéchisme de l'Église catholique. Il mentionne néanmoins l'instruction "Libertatis consciencia", par laquelle l'Église catholique considère comme erronée l'affirmation selon laquelle je cite "l'homme, sujet de la liberté, se suffit à lui-même en ayant pour fin la satisfaction de son intérêt propre dans la jouissance des biens terrestres". C'est important ici, ce n'est pas quelque chose contre la liberté de conscience en tant que telle, mais c'est une mise en garde contre l'homme qui se prend pour sa fin lui-même. D'accord, ça, c'est erroné. Ça, c'est un élément important.
  • Le deuxième texte important, c'est l'encyclique Veritatis Splendor. Il y a dans cette encyclique la mention des normes universelles et immuables au service de la personne et de la société, qui sont présentées comme telles par le Magistère de l'Église catholique, c'est très-très important ici. Et derrière, c'est une anthropologie religieuse que l'on retrouve d'ailleurs dans le Catéchisme de l'Église catholique. Vous regardez les articles « athéisme » dans le Catéchisme de l'Église catholique et vous voyez que la butée, c'est ça. L'homme est naturellement religieux. L'homme naît naturellement religieux. Mais un athée, c'est quoi ? Si l'anthropologie est religieuse au départ, ça, c'est un enjeu. C'est un débat de toujours. C'est un débat qui est encore en cours aujourd'hui, lorsque Benoît XVI a justement rencontré des athées, Julia Kristeva, pour ne pas la nommer, c'est dans cette recherche de "quelle place dans une anthropologie religieuse ?" à quelqu'un qui dit "Je ne me reconnais pas dans une religion". Comment je me pense ? Comment je pense ? C'est encore un quelque chose qui est en cours.
  • Ceci étant, Jean-Paul II a adressé un message aux chefs d'États et gouvernements signataires de L'acte final d'Helsinki, qui a témoigné de son attachement au caractère universel des principes qui ont été affirmés dans cet acte-là. D'accord, et le même Magistère de l'Église catholique ne remet pas en question, en tout cas aujourd'hui, l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Alors, c'est important. L'une des justifications, c'est parce que c'est la personne qui est au cœur. Et cette personne, l'État ne peut pas l'opprimer. Or, l'Église catholique est extrêmement attentive à ce que justement cet État ne risque pas d'opprimer la personne, notamment du point de vue de la liberté religieuse.

La dernière période est dominée par une problématique qui concerne d'autres sociétés et des débats liés à des sociétés non majoritairement chrétiennes, en particulier musulmanes, mais pas seulement. Je vais vous donner deux ou trois exemples hors islam. Et puis je vais m'intéresser aux sociétés majoritairement musulmanes ou sous autorité musulmane.

  • En Inde, le défi c'est après plusieurs décennies, après la partition de 1948, a adopté une Constitution qui est une Constitution libérale. Et après plusieurs décennies de ce développement, ce déploiement de la pensée libérale est confronté à un nationalisme hindou qui racialise l'hindouisme. C'est à dire qui renvoie à une identité hindoue naturelle, ethnicisée. Et qui fait qu'on a aujourd'hui, depuis quelques années déjà, des cérémonies de "ré-hindouisation" de personnes qui sont musulmanes ou chrétiennes, à qui on dit si vous êtes aujourd'hui musulman ou chrétien, c'est parce que dans vos ancêtres, il y a eu usage de la force ou une influence néfaste qui a fait que vos ancêtres ont quitté l'hindouisme. Il faut revenir à l'hindouisme. Donc, ce sont des manifestations, plus des pressions ou des limitations de droits, notamment à l'encontre des musulmans en Inde. Donc ça, c'est un phénomène important. Dans une société majoritairement bouddhiste comme la Birmanie, c'est plus récent, le phénomène de nationalisme bouddhiste est également très fort. Donc on écarte une partie de la population de droits liés aux citoyens bouddhistes, ces fameux Rohingyas qui ont été à la fois dessaisis d'une partie de leurs droits, puis ensuite persécutés, comme certains d'entre eux ont réagi la persécution a augmenté, ils ont été chassés de la Birmanie. Et puis d'autres éléments législatifs sont entrés en ligne de compte. Par exemple, l'État, depuis le milieu des années 2010, demande à ce qu'une femme bouddhiste qui veut se marier avec un non bouddhiste demande l'autorisation de l'administration. Pourquoi ? Parce qu'une règle religieuse côté musulman fait qu'une femme musulmane ne peut pas se marier avec un non-musulman. Pour rééquilibrer c'est l'État qui joue ce rôle-là du côté bouddhiste. Vous voyez l'enjeu.
  • Dans les États majoritairement musulmans il y a eu une mobilisation ici à plusieurs niveaux, mobilisation théorique. Depuis la fin des années 50 dans les institutions religieuses musulmanes, la pensée qui s'est développée, c'est une pensée contre-occidentale ou contre-moderne, antimoderne. Donc, au même moment où il y avait une ouverture de la pensée catholique vers ce milieu libéral, cette pensée libérale, sans pleinement aller vers le libéralisme philosophique tel que je l'ai précisé tout à l'heure, du côté musulman il y a un raidissement et surtout l'affirmation d'une contre-proposition, contre-proposition qui dit "en tant que musulmans, nous avons tout ce qu'il faut". Il faut rejeter tout ce qui est venu dans le cadre de cette période coloniale, le droit civil, le droit pénal, le rejeter parce que ce n'est pas purement musulman. C'est théorisé par des gens comme l'indo pakistanais Mao Daoudi qui dit : « on a un système complet qui se suffit à lui-même. Tout ce qui vient de l'extérieur, il faut le rejeter ». Il y a un processus de réislamisation du droit qui passe par exemple au Soudan après la victoire de (?) par une inscription de la charia dans le Code pénal, par l'inscription de la référence à la charia dans la Constitution égyptienne en 71 et son renforcement en 1980, par la multiplication des lois anti-blasphème ou le renforcement des législations anti-blasphème. C'est un processus, vous voyez, après la théorisation de la contre-proposition, on a des déclinaisons dans la législation de très nombreux États au cours des années 80-90-2000 et qui, elles, sont liées à ça. À l'échelle internationale il y a une mobilisation d'une organisation qui est l'Organisation de la conférence islamique, laquelle, en 1990, adopte une Déclaration des droits de l'homme en islam qui est une illustration de ce que je viens de vous dire. L'article 10 en toutes lettres expose que l'islam est la religion naturelle de l'homme, (El Islam ... ?) l'islam est la religion naturelle de l'homme. Il est interdit à toute personne de soumettre ce dernier, sous-entendu ce musulman naturel, à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l'athéisme. C'est très clair, Donc le musulman ne peut pas sortir de l'islam. Et d'autres textes sont adoptés dans la foulée. En 96, le Code pénal unifié de la Ligue des États arabes dit "la peine qui s'applique pour le musulman qui quitte l'islam, c'est la mort", sauf s'il vient, s'il revient à l'islam. Mais c'est la mort. La peine pour le blasphémateur qui est musulman, c'est la même que la peine pour l'apostat. Ça, c'est le Code pénal unifié de la Ligue des États arabes. Mais je précise que ce code pénal unifié de la Ligue des États arabes n'a pas été intégré dans les codes pénaux nationaux des pays qui n'appliquaient pas déjà ces règles-là. Donc certains l'appliquaient, par exemple l'Arabie Saoudite, mais le Maroc ne l'appliquait pas. Le Maroc n'a pas introduit ce code pénal unifié de la Ligue des États arabes dans son Code national. En plus, le Maroc est signataire d'accords et de traités et de pactes internationaux qui vont à l'encontre de ce code pénal unifié. Donc, il est tiraillé entre différents droits, d'où la difficulté. Donc, il y a un vrai débat à l'heure actuelle en milieu majoritairement musulman, sur cette possibilité de reconnaître la liberté de conscience.
  • Je vais rapidement passer pour arriver à ma conclusion et insister sur le fait que les zones de tension autour de cette notion se trouvent aujourd'hui, par exemple en Afrique subsaharienne, dans des lieux où il y a des populations mixtes du point de vue confessionnel. Et donc la question de savoir si on se compte en tant que communauté par rapport à la religion, quel est le rapport de force entre telle ou telle communauté ? Vous avez un des indices parmi d'autres de tensions au Burkina Faso, en République Centrafricaine. À l'heure actuelle, un petit peu en Côte d'Ivoire aussi. Je dis c'est un des critères parmi d'autres, parce que les tensions dans ces États ont bien d'autres facteurs également. Mais ça, c'est un des indices parmi d'autres, un des facteurs parmi d'autres de tensions. Et alors, la tension est d'autant plus forte que les États de ces régions-là, de cette région d'Afrique subsaharienne, ont à la fois un code qui vient de l'Europe, des codes ou des références juridiques qui viennent de l'Europe et qui sont face à une pression pour intégrer de la référence religieuse, parfois dans ces États, d'où une tension.
  • Pour ce qui est des États très majoritairement musulmans, sous autorité musulmane ou à référence musulmane, il n'y a qu'un État qui a véritablement bougé, c'est la Tunisie. La Tunisie, en 2014, a adopté une nouvelle constitution dans laquelle explicitement est reconnu le droit de liberté de conscience. Il y a deux autres États qui avaient cette notion dans leur constitution : l'Irak en 2005, le Bahreïn en 1973. Mais comme il y avait une référence à la charia, entendue au sens d'une jurisprudence et d'une méthodologie de jurisprudence qui ne permet pas un certain nombre de choses, c'était un droit évidé de son contenu pour le Bahreïn et l'Irak. Si vous êtes un chiite irakien ou un sunnite irakien, vous ne pouvez pas devenir un Chaldéen. D'où les tensions à l'heure actuelle.
  • Je conclus et on pourra développer avec l'échange. Il y a donc eu, il y a donc, une histoire non linéaire de la notion et du droit de liberté de conscience. Ceux qui l'ont porté l'ont fait avec tout un tas de contradictions. Ça, c'est deux éléments à retenir en conclusion. Troisième élément à retenir en conclusion, c'est que ce droit, qui a été considéré comme universel en 48, ne l'est plus aujourd'hui. Il y a contestation de l'universalité de ce droit à l'heure actuelle. Et alors, ce qui est encore plus fascinant, c'est le quatrième point de la conclusion, c'est que des États, des administrations, des penseurs, des intellectuels qui en avaient fait quelque chose d'extrêmement important dans les années 80-90, au nom du droit à la différence culturelle, par exemple, et bien abandonnent la position en disant « on reconnaît qu'il n'est pas universel, ce droit-là ». Si les autres pensent différemment, il faut accepter que les autres pensent différemment. Alors, la difficulté, c'est que dans ces autres-là, il y a une « culturalisation » de l'autre en général. Or, dans une même société donnée, on peut avoir des personnes d'une même langue et d'une même religion qui disent une chose et le voisin qui dit ou la voisine qui dit exactement le contraire. Donc, une personne qui dit "la liberté de conscience, c'est un droit européen ou occidental" et une autre qui dit "non, c'est un bon droit : J'en veux aussi."

 

Une des tensions porte là-dessus. Cinquième point, c'est ce dont nous avons discuté cet après-midi, un des points de discussion : aucune liberté n'est illimitée et pas plus la liberté de conscience que d'autres libertés individuelles. Il faut prendre conscience qu'aucune de ces libertés n'est illimitée. Enfin, le dernier point, c'est (que je ne vais pas développer, mais qui me paraît intéressant parce que dans les années à venir il est possible que ce soit un point en développement, je l'ouvre, c'est une ouverture si vous voulez) la liberté de conscience, elle porte sur quoi véritablement ? Qu'est-ce que c'est que cette conscience-là ?

 

Jusqu'à présent, ça n'a pas été pensé dans ces termes-là, on a dit liberté ou droit de liberté de conscience et on a précisé ce que c'était : changer de religion ou de conviction. Mais si on réfléchit, qu'est-ce que c'est que la conscience ? Et qui a une conscience ? Ça ouvre un certain nombre d'autres questions. Je vous remercie... (applaudissements).

 

Jean-François BOUR : C'est nous qui te remercions beaucoup pour ce parcours. Voilà, je pense que la taille du bouquin, qui fait plus de 1100 pages si je me souviens bien, vous donne une idée de la masse de documentation et d'information qui se trouve derrière chaque phrase que Dominique a prononcée ou de tel nom de communauté religieuse même. J'en ai feuilleté quelques pages mais n'ai pas vraiment pu le lire pour ce soir. On va laisser un peu de place pour les questions et la discussion. Je vois que Bruno Matthias propose le micro. Si vous voulez lever la main, on vous donnera la parole. En attendant que vous ayez formulé votre question je précise que ce livre est en vente à 39 euros. Il y en a quelques exemplaires ici à disposition.

 

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QUESTIONS

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Jean-François BOUR : Je vais commencer puisque la première question est souvent la plus difficile : Très simplement qu'est ce qui t'a motivé à traiter ce sujet pour en faire ce « pavé », au-delà de l'amour de l'histoire, bien sûr. ?

 

Dominique AVON : Je vais résumer ce que j'ai dit cet après-midi à la Maison des sciences.

  • Premier point une expérience personnelle, celle que nous avons vécue ensemble en Égypte et des personnes qui se cachaient parce qu'elles avaient changé de religion, qui ne pouvaient pas vivre ouvertement ce changement de religion. En amont, une expérience de franchissement du mur de Berlin avec cette contrainte sur la liberté d'expression face à un État et l'impossibilité également de circuler. Donc, ça, c'est un élément d'expérience personnelle. J’ai essayé après de mettre des mots et une histoire sur cette réalité que j'observais.
  • Deuxième élément, c'est des éléments de recherche. Quand j'enseignais au Liban, en 2004-2005, j'ai découvert que le texte originel de la Constitution libanaise, je l'ai dit tout à l'heure, était un texte en français où la liberté de conscience était posée comme "absolu". Et le texte officiel est en arabe et il ne parle plus de liberté de conscience, mais de liberté de doctrine religieuse. Ce qui fait qu’aujourd’hui, à ce moment-là et aujourd'hui, quand vous êtes un citoyen libanais, vous n'êtes citoyen qu'à travers une communauté religieuse reconnue. Vous ne pouvez pas être citoyen libanais athée ou bouddhiste, vous pouvez être Syriaque, vous pouvez être Arménien catholique, vous pouvez être Arménien apostolique, vous pouvez être Arménien protestant, trois catégories d'Arméniens, mais vous ne pouvez pas être Libanais athée ou Libanais hindou. Donc j'ai essayé de comprendre pourquoi et j'ai compris pourquoi Charles Malek avait beaucoup insisté en 47-48 pour que ça soit intégré à la Déclaration universelle des droits de l'homme.
  • Troisième point la découverte au sein du monde académique européen et nord-américain de la remise en question de la pensée libérale, des débats autour de la pensée libérale pas au sens économique du terme, au sens philosophique et politique du terme, remise en question très profonde qui vraiment traverse le (paysage ?). J'ai voulu comprendre pourquoi ce qui paraissait acquis il y a 40 ans, surtout face au monde soviétique, de ce côté-là dans l'espace européen et nord-américain, n'était plus évident aujourd'hui.
  • Puis des débats dans les sociétés - quatrième réponse - les débats dans les sociétés aujourd'hui, puisque la question de la différence ne se pose pas entre un territoire ici et un territoire là-bas, mais entre tel citoyen ici et tel citoyen, telle citoyenne ici. C'est au sein d'une même société, que le débat se joue. Ce n’est pas là-bas et ici, c'est ici et ici.

Autres Questions non transcrites.

 

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